Le 13 mai 2012, dans le beau couvent des Bernardins à Paris, au cours d’une émouvante cérémonie, était décernée, à titre posthume, à Gitta Mallasz, la médaille de Juste parmi les Nations pour avoir sauvé, en décembre 1944, une centaine de femmes et d’enfants juifs de la déportation.
Si Gitta Mallasz est le «scribe» qui a fait connaître au monde les Dialogues avec l’Ange, récit de l’expérience spirituelle qu’elle a vécue en 1943-44, en Hongrie, avec ses trois amis, Joseph Kreutzer, Hanna Dallos, et Lili Strausz, elle a aussi été une femme courageuse et audacieuse qui n’a pas hésité à risquer sa vie pour en sauver d’autres qui étaient irrémédiablement vouées à l’extermination.
De juin à décembre 1944, Gitta Malllasz fut le commandant de Katalin, un atelier de confection pour l’armée hongroise, dont les ouvrières étaient juives et qui avait été conçu par un prêtre catholique, le Père Klinda, qui, dans Budapest occupé par les nazis, se dépensait sans compter pour sauver des Juifs. L’usine assurait une bonne protection à ses résidentes car, outre qu’on y travaillait pour la Défense hongroise, elle était placée sous la protection de la nonciature et bénéficiait donc de l’extraterritorialité.
Quand elle fut contactée pour diriger «Katalin», Gitta, fille de général et ancienne championne de natation, accepta à condition que Hanna et Lili y soient admises. Aidée par ses deux amies, elle établit l’ordre et l’efficacité au sein de l’atelier. L’été passa. Les commandes pour l’armée étaient effectuées en temps et en heure... et les rencontres avec les anges se poursuivaient dans « la cabane du commandant ». Mais à l’automne, la situation se détériora : les nazis hongrois, encore plus brutaux que les allemands, étaient arrivés au pouvoir et gardaient l’oeil sur cette drôle d’usine et ses ouvrières. Le 5 novembre, ils effectuèrent une première descente musclée, mais une intervention de la nonciature sauva les ouvrières in extremis.
Parallèlement, des SS allemands s’installent dans la maison voisine. Un jour (*), un soldat, dessinateur des forces armées allemandes, qui a connu Hanna aux Beaux-arts de Munich, sonne à la porte. Gitta, qui parle couramment la langue de Goethe, se lie d’amitié avec lui, propose de réaliser quelques dessins sur le folklore hongrois pour sa revue, en échange de quoi elle reçoit un certificat de travail, avec une croix gammée comme cachet, ce qui lui sert d’introduction auprès de ses voisins à qui elle propose de visiter l’usine. Les nazis prennent goût à ces petites sorties. Bientôt, une ouverture dans la clôture qui sépare les deux jardins est faite, pour leur éviter de faire un long détour par la rue. Et comme Gitta se plaint des hordes de soldats hongrois qui viennent perturber le travail de ses ouvrières, promesse est faite de protéger celles-ci : quand le 2 décembre, les nazis hongrois viendront envahir l’usine, les ouvrières passeront par le jardin des SS pour se fondre dans la forêt voisine. Mais au grand désespoir de Gitta, ni Hanna, ni Lili ne profiteront de ce stratagème. Elles se laisseront arrêter et déporter à Ravensbrück pour sauver Gitta d’inévitables représailles et mourront, d’une façon atroce, en février 1945, dans un wagon à bestiaux (Le dernier convoi, Eva Danos, Albin Michel, 2011).
Dans les années 2000, une lectrice fervente de Dialogues avec l’ange, Monique Guillemin, entreprit d’obtenir pour Gitta le statut de « Juste parmi les nations ». Elle fut aidée par un Hongrois, Imre Boc, ancien résistant à Grenoble pendant la seconde guerre mondiale, qui raconte les péripéties qui ont jalonné la constitution du dossier pour Yad Vashem dans Au péril de sa vie. Celle-ci dura deux ans, de 2007 à 2009. La réponse, positive, arriva le 12 mai 2011.
La principale témoin, Susan Kis, y relate notamment la fantastique atmosphère spirituelle qui régnait dans l’atelier : « Nous faisions même plus de chemises que ce qui était prévu, et quand nous avions fini, nous nous mettions à chanter, toutes ensemble ! ». Elle parle aussi de la la cabane de la commandante et comment elles furent surprises à espionner ce qui s’y passait.
Revenue sur place en 2006 avec le cinéaste hongrois Andras S Takacs,
Susan Kis raconte comment elle a pu s’enfuir de Katalin avec sa mère le 1er décembre 1944
Depuis, de nouveaux témoignages ont fait surface :
- Celui des filles d’Ernö Erbstein, Juif hongrois connu pour avoir été l'entraîneur de l'équipe de foot de Turin, qui ont séjourné à Katalin avec leur mère. Erbstein: The triumph and tragedy of football’s forgotten pioneer, de Dominic Bliss (Blizzard Books)
- Celui d’Andreas Rusznyak qui, à huit ans, séjourna à Katalin avec sa mère, Erszébet, qui travailla avec Gitta Mallasz après la guerre.
D’autre part, l’historienne hongroise Margit Beke a récemment mis en lumière le rôle clef du Père Klinda qui a imaginé le montage juridique de l’atelier.
Françoise Maupin
(*) Dialogues avec l'ange, p. 375