Anne V. est une ancienne alcoolique. Mais elle est restée Alcoolique anonyme. Elle ne boit plus depuis des années, mais jamais elle ne quittera cette fraternité d’anciens buveurs qui non seulement lui ont sauvé la vie, mais l’ont rendue « ivre de vie ».
Avec le recul des années, elle livre un témoignage bouleversant de son itinéraire de souffrances, puis de renaissance. C’est en effet à un véritable accouchement que les Alcooliques Anonymes ont procédé. A tel point que la date anniversaire de sa nouvelle naissance a pris le pas sur la première, la civile. « Et voici qu’aujourd’hui, il y a trente deux ans – réalise-t-elle en écrivant ces lignes – juste trente deux ans que j’ai passé pour la première fois la porte des Alcooliques Anonymes, et toute la journée, portée, baignée, envahie par la gratitude j’ai célébré dans mon cœur une fête secrète. Quoi d’étonnant à cela ? Où serais-je si je n’avais pas rencontré AA sur ma route ? Je ne suis pas née en Alcooliques Anonymes – j’avais vécu avant eux, intensément, et connu le goût du bonheur, et la tendresse, et l’émerveillement devant la beauté du monde. Mais lorsque tout ne m’était plus que souffrance, ils m’ont permis d’abandonner cette non-vie comme un vêtement usé glissant de mes épaules. Renaissance ? Résurrection ? Peu importe : je le sais bien, je suis vivante aujourd’hui grâce à eux ».
On ne sait pas toujours qu’Alcooliques Anonymes est une association américaine, mais que l’idée en a été soufflée à son fondateur par C. G. Jung, vers qui un de ses compatriotes s’était tourné pour se libérer de son alcoolisme. Après un premier échec, Jung lui avait confié que les rares à s’en être sortis étaient des personnes qui avaient connu une expérience spirituelle vitale. Comme il protestait de sa foi, Jung lui avait rétorqué qu’il ne s’agissait pas de cela, pas d’une foi religieuse ordinaire, mais d’une expérience de conversion. « Je ne puis que vous recommander de vous plonger dans l’atmosphère religieuse de votre choix, de reconnaître votre défaite personnelle et de vous vouer à ce Dieu que vous reconnaissez, quel qu’il soit. Peut-être serez vous alors frappé par l’éclair de cette expérience transformante de conversion ». L’intuition qu’ « à la racine de l’alcoolisme – mal sacré – il y a un sentiment nébuleux, mais débordant de Dieu », qu’il s’agit de transmuter, a été à la base de la réussite du « programme » des AA, mouvement non religieux malgré une référence explicite à Dieu (ou à une « Puissance supérieure »).
L’auteur, qui a bien connu Gitta Mallasz et travaillé avec elle à la traduction des Dialogues avec l’ange, y a retrouvé cette intuition fondatrice des AA. Elle cite dans son livre des fragments de ce passage enivrant de l’entretien 15 avec Gitta :
Toute ivresse est avant-goût du Sans-Poids.
C'est pour cela que l'homme la recherche...
mais sur le mauvais chemin.
SOYEZ IVRES DE DIEU ! (*)
C'est cela le symbole du vin, c'est SON sang.
Vertu, bonté, bonnes intentions
ne sont que pots ébréchés, pots vides, sans la Boisson.
Avec une soif inextinguible
soyez assoiffés de I'IVRESSE,
qui seule peut délivrer.
Que voulez-vous donner, s'il n'y a rien en vous!
Vous êtes des pots misérables sans la Boisson.
A CELUI QUI VRAIMENT DEMANDE À BOIRE,
LA BOISSON EST DONNÉE.
Jusqu'à plus soif. Renaître de l'alcool, Anne V, nouvelle édition poche chez Robert Laffont (Documento). 353 pages, 8,90 €. Le livre en contient en réalité trois, plus ou moins imbriqués : le témoignage, une présentation des Alcooliques Anonymes et un guide pratique pour les alcooliques et leurs proches.
On pourra également relire le chapitre XV des Dialogues tels que je les ai vécus, intitulé L’ivresse et le poids.
(*) Traduction au plus près du hongrois : "Enivrez-vous en Dieu !"
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